Ce projet se déroulait avec l’aide de Jean-Christophe Fernandes, chargé du suivi et de l’accompagnement technique, dans le cadre d’une thèse de doctorat en co-tutelle entre le Laboratoire de Génie Civil et Ingénierie Environnementale (LGCIE) de l’INSA de Lyon et le Laboratoire Qualité des Eaux et de l’Environnement (LAQUE) de l’Université de Quisqueya.
Sous un statut de Volontaire du Progrès (AFVP, devenu France Volontaires), Jean-Christophe Fernandes était chargé de mission du CEFREPADE, détaché grâce à un co-financement de l’ADEME.
Il intervenait en appui de l’association Athlétique d’Haïti, responsable de la mise en œuvre de ce projet.
Jean-Christophe a péri lors du séisme en Haïti le 12 janvier 2010.
Une partie de ce document est extraite du rapport qu’il nous a fait parvenir le 11 janvier 2010…
Le 18 avril 2010, la nouvelle plateforme a été inaugurée et appelée : « Centre de Valorisation de déchets Jean-Christophe Fernandes ».
Présentation PowerPoint du projet
Contexte général en Haïti
Les déchets solides et liquides sont, comme chacun le sait, un important vecteur de maladies et de nuisances. Selon une étude de 1999, près d’un quart des décès recensés à Port-au-Prince étaient d’origine inconnue ; on peut penser que les conditions de vie de la population, et notamment l’état de l’environnement, en était l’une des causes majeures. Cette situation résulte principalement de la quasi-inexistence de fosses septiques et de systèmes de gestion des déchets dans la majorité des quartiers de la capitale Haïtienne. La matière organique contenue dans ces déchets et effluents est le siège de processus de biodégradation conduisant à la production de biogaz et de lixiviats ainsi qu’à la prolifération de micro-organismes pour certains pathogènes ; l’impact sur l’environnement et la santé publique est de plus en plus mis en évidence par l’apparition de maladies et la dégradation des écosystèmes terrestres et aquatiques (fuite, mort ou prolifération de certaines espèces).
La situation s’est encore aggravée avec le séisme survenu le 12 janvier 2010 sur Port-au-Prince.
Avec une population qui était estimée à 2 164 207 habitants en 2009, un taux d’accroissement de la population d’environ 2% chaque année et une production journalière d’ordures estimée à 0,6 kg/hab., la région métropolitaine de Port-au-Prince se trouvait déjà avant le séisme noyée dans de nombreuses difficultés, notamment celle de la gestion des déchets ménagers et de l’assainissement.
Le taux de collecte des déchets était rarement performant, sauf dans certains quartiers privilégiés (centres commerciaux, zones touristiques, quartiers résidentiels de haut standing). Il variait généralement de 30% à 40%, mais il était parfois beaucoup plus faible, voire nul, dans certains quartiers précaires. Parmi ces ordures, approximativement 800 m3 arrivaient quotidiennement sur le site de Truitier, décharge non contrôlée proche de la mer et entourée de bidonvilles. Pour les déchets ménagers et de marché non collectés et autres déchets organiques d’origine agricole et agro-alimentaire, il n’était pas rare d’observer les habitants les déposer dans les drains et les caniveaux ou dans les terrains vagues, provoquant ainsi l’obstruction des canalisations et la création de dépôts sauvages.
Compte tenu de l’importance de la fraction organique contenue dans les déchets et de leur humidité, le compostage constitue a priori une solution adéquate, d’autant que sa mise en œuvre peut être techniquement relativement simple. Le grand besoin des sols pauvres et dégradés en matière organique en Haïti et l’inadaptation des autres filières de traitement de déchets, ne font que renforcer un tel choix.
Nous avons donc décidé d’appuyer un projet expérimental de développement d’une plateforme décentralisée de valorisation des déchets dans un quartier de Cité Soleil, commune jouxtant Port-au-Prince. Si de telles plateformes ne peuvent raisonnablement pas prendre en charge la production de déchets de plus de 2 millions d’habitants, elles peuvent être une solution pour les zones péri-urbaines, où la collecte est souvent oubliée et le compost utilisable directement sur place pour améliorer la qualité des sols et les rendements des cultures maraîchères et fruitières.
Le projet de Cité Soleil
La mise en place d’une plateforme de compostage artisanale a été réalisée dans l’un des villes les plus pauvres de la périphérie de la capitale Haïtienne : Cité Soleil. Prévue pour être équipée d’unités de valorisation des déchets non putrescibles, elle contribue au maintien de l’équilibre social dans le quartier grâce notamment à la création d’emplois durables et au nettoyage des zones habitées.
Cette expérience pilote s’accompagne d’une recherche de pérennité sociale, technique et économique.
Les travaux d’observation directe, les questionnaires et les entretiens effectués dans un quartier nord de Cité Soleil (Bois Neuf) ont permis d’établir la monographie des 15 000 personnes concernées par le projet. Un schéma directeur pour la gestion des déchets dans le quartier a été établi en concertation avec les populations locales. L’étude de caractérisation des déchets a mis en évidence une production de déchets moins importante par rapport à la ville (0,33Kg/hab./jour) due aux activités des habitants des quartiers (70% des actifs sont des commerçants qui quittent le bidonville pour aller vendre en ville pendant la journée). Ainsi, environ 5 tonnes de déchets ménagers, collectés et tractés par charrette, arrivent quotidiennement sur le site de traitement où ils sont ensuite triés par une équipe de 5 ouvriers.
L’étude de la typologie des déchets produits dans le bidonville montre une prédominance des matières organiques (77,5%), suivent les papiers/cartons (4,4%), les plastiques durs (1,3%), plastiques souples (5,5%), les fines (5,5%) et une faible proportion de métaux (0,8%) et de verres (0,5%) due à l’existence de filières de revalorisation dans le pays. Ainsi, presque 95% des déchets produits peuvent être valorisés : la matière organique convertie en compost, les papiers/cartons en combustible (briquettes), les plastiques durs en granulats et les plastiques souples en matériaux de construction. Cette expérience pilote s’accompagne également d’une recherche de qualité pour les produits de valorisation : ajouts de substances dans les composts pour apporter de l’azote (déjections animales), du phosphore (poudre d’os) et du potassium (cendres), tests de résistivité pour les matériaux de construction ou encore qualité environnementale des briquettes de papier/carton. Ces produits pourront ainsi mieux répondre aux exigences locales et diminuer la pression anthropique sur la faune et flore (utilisation massive et non contrôlée des engrais en milieu paysan, déforestation anarchique des forêts…).
La pérennité économique du système devrait être partiellement assurée par la revente des produits issus des procédés de revalorisation. Elle est assurée, selon les prévisions, à 21% par la revente des composts, à 12% par la revente des briquettes, à 15% par la revente des plastiques durs, à 11% par la revente des métaux et à 12% par la revente des matériaux de construction.
Les 29% restants pourront être issus de la revente de crédits carbone (étude en cours) et d’une aide de la municipalité compte tenu de la prise en charge d’une partie des déchets de la ville.
Partenaires impliqués
Le principal partenaire du projet, propriétaire des terrains et chef de file du projet à Cité Soleil, est l’Athlétique d’Haïti. Créée il y a 15 ans, l’association sportive locale compte aujourd’hui 5 centres dont 2 à Cite Soleil. Ces centres accueillaient quotidiennement 1300 enfants (3000 depuis le séisme) qui bénéficient du repas de midi et d’une douche et à qui trois heures de cours sont dispensées. L’après- midi les enfants font du sport, encadrés par un staff technique formé et compétent. En 2008 et 2009, l’Athlétique d’Haïti est parti gagner la coupe de la reine au Danemark, compétition de renommée internationale. Seul bémol, après 19 ans, les jeunes ne sont plus accueillis. C’est pourquoi, dans une recherche de création d’activités rémunératrices, l’Athlétique d’Haïti s’est engagé dans la gestion des déchets à Cite Soleil en donnant de l’emploi à plusieurs de ces jeunes adultes.
La composante recherche est assurée en Haïti par le LAQUE de l’Université de Quisqueya pour la partie composts. Ce projet se fait avec l’appui du Recteur Jacky Lumarque et bien évidemment avec le soutien du directeur du LAQUE, le Pr Evens Emmanuel ainsi que de toute son équipe.
Pour ce qui est des problématiques agricoles et pédologiques, c’est la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire de l’Université d’État qui intervient au travers de Monsieur Hervé Duchaufour.
L’appui vient aussi de l’INSA de Lyon, qui a depuis de nombreuses années une collaboration avec l’université Quisqueya et qui est à l’initiative du CEFREPADE. Pascale Naquin, Paul Vermande, Rémy Gourdon et Rémy Bayard sont les principaux interlocuteurs.
L’Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Limoges (ENSIL), représentée par le Professeur Guy Matejka, est partie prenante également au travers de travaux sur la problématique des crédits carbone, appliquée au présent projet.
La faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, par le biais du Professeur Marc Boutet, coordonne les activités de recherche en éducation à l’environnement (EAE).
La municipalité de Cité Soleil suit de près le projet. Elle n’a pour l’instant financé aucune activité mais participe aux différents comités de pilotage, donne son avis et son soutien institutionnel, tout comme le MTPTC (Ministère des Travaux Publics et des Transports en Commun) et le Ministère de l’Agriculture. Elle a en outre participé à la rédaction du plan de gestion des déchets dans le bidonville avec le volontaire.
Les autres partenaires sont des partenaires financiers :
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l’Ambassade de France – Service de Coopération et d’Action Culturelle par l’aide à la construction du centre de gestion des déchets à Bois Neuf et par l’accompagnement des travaux de recherche sur la qualité des composts produits ;
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les Anneaux de la Mémoire par l’installation d’un point d’eau sur le centre de gestion des déchets et par le financement des premiers mois de fonctionnement ;
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le département de Loire Atlantique par le financement de la composante maraîchage et agriculture péri-urbaine ;
- la mairie de Nantes par le financement de la composante élevage ;
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la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilité en Haïti) par le financement du plan de gestion des déchets dans le bidonville ;
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l’ADEME et France Volontaires, par le financement du Volontaire mis à disposition sur place.
Déroulement en 2009
5 janvier 2009 : ARRIVEE DU VOLONTAIRE EN HAITI
Janvier – avril 2009 * :
- aspects administratifs et réglementaires ;
- identification des acteurs et de leur rôle ;
- identification des pratiques de rejet ;
- analyse des gisements de déchets disponibles (nature, quantités, localisation, modes de collecte) ;
- monographie de quartier ;
- rédaction d’un plan de gestion des déchets dans l’un quartier de Cité Soleil ;
- analyse du besoin en compost ;
- montage financier et budget prévisionnel de l’opération ;
- choix de la technologie à mettre en œuvre.
18 mai 2009 : OUVERTURE DU CENTRE DE GESTION DES DECHETS
Juin – octobre 2009 * :
- identification, réalisation et évaluation d’outils pour l’éducation à l’environnement ;
- analyse du besoin en compost ;
- études de marché détaillées pour chaque type de produits issus des filières de revalorisation ;
- comptabilisation de l’économie en gaz à effet de serre ;
- recherche de nouveaux revenus ;
- initiation des travaux de recherche sur les composts ;
- initiation des travaux de recherche sur les briquettes ;
- initiation des travaux de recherche sur les matériaux de construction.
Septembre – Novembre 2009 : MISSION DU VOLONTAIRE EN FRANCE ET EN AFRIQUE
Pendant ce temps, la plateforme continue à fonctionner normalement, sans son soutien, ce qui était un des objectifs visés.
Calendrier 2010
Le principal objectif du projet est d’arriver à trouver, sur ce premier site en place en Haïti, la « bonne recette » pour un fonctionnement durable et pérenne des installations. Cela suppose une gestion optimale des systèmes (recherche de qualité pour tous les produits de revalorisation, existence de marchés d’écoulement, appropriation du projet par la société civile…) pour une autosuffisance du système.
Autrement dit, l’objectif final est d’avoir une rentrée d’argent suffisamment importante par la revente des produits fabriqués sur place pour ne plus dépendre de l’aide internationale et/ou de l’intervention d’autres institutions. Une fois le fonctionnement optimal atteint, ce site pourra alors être multiplié à volonté, ou au moins à l’échelle de Cité Soleil. Il faudrait une dizaine de centres à l’image de celui de Bois Neuf pour résoudre le problème des déchets à Cité Soleil.
Pour les mois à venir, les travaux devraient se dérouler de la manière suivante :
Avril – Juillet :
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Reconstruction de la plateforme (détériorée suite au séisme et déplacée de quelques mètres) et mise en place du plan de gestion des déchets dans le bidonville, qui implique la mise en place de 100 points de regroupement de déchets dans le bidonville, de la collecte quotidienne des déchets vers le centre de tri, d’un travail de sensibilisation auprès des populations locales au travers de réunions de quartier, d’intervention dans les établissements publics (écoles, hôpitaux…), d’usage de la presse et des radios et Tv locales ; la MINUSTAH a pour cela dégagé un financement de plus de 26000 US$ ;
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projet maraîchage, avec utilisation d’une partie des composts produits sur site : ce projet permettra la production de légumes dans cette zone démunie. Les produits seront vendus à un tarif préférentiel aux habitants du bidonville et le surplus à des restaurateurs des hauteurs bourgeoises de Port-au-Prince ;
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parcelles témoins, accompagnées d’un travail de sensibilisation « portes ouvertes » auprès des paysans et d’une étude scientifique sur l’amélioration des rendements par l’usage d’amendements organiques (menée conjointement avec la FAMV et la ministère de l’agriculture) ;
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projet élevage, les porcs seront nourris en partie par la matière organique fraîche qui arrive sur site tandis que les poules seront nourries en partie par les vers issus d’un processus de vermicompostage. Revendus à un abattoir local, les os seront récupérés, broyés puis réintroduits dans les composts ; les œufs seront vendus.
Septembre 2010 :
Envoi d’un nouveau volontaire par le CEFREPADE pour la recherche de la viabilité économique de la plateforme.
Septembre – Décembre 2010 :
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création du centre artisanal, inspiré par les expériences Burkinabè, Béninoises, Togolaises et Ghanéennes, ce centre aura pour but de donner une forte valeur ajoutée à des produits issus des déchets (sacs en sachets plastiques, papier recyclés, patchwork…) ;
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restitution des travaux de recherche sur les composts, et notamment sur l’amélioration nutritive des composts et de leur usage agronomique ;
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restitution des travaux de recherche sur la comptabilisation de l’économie carbone ; cette étude sera d’un grand intérêt pour le financement à venir du projet ;
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restitution des travaux de recherche sur les briquettes : une fois la composition optimale trouvée, le centre pourra produire les briquettes avec un rendement de 200 briquettes/jour et les revendre essentiellement à des boulangeries locales avec lesquelles les contrats sont déjà prévus ;
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restitution des travaux de recherche sur les matériaux de construction : de la même manière que les briquettes, les matériaux de construction pourront être fabriqués. Un premier projet concerne la construction de deux terrains de basket-ball à Cité Soleil en pavés plastiques, financés par la fondation SOGEBANQUE à haute de 30 000 US$ ;
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restitution des travaux sur les sols : les sols concernés autour de Cité Soleil sont des sols salins sur lesquels il est impossible de faire du maraîchage. Le résultat de ces travaux permettra de conclure quant à l’intérêt du compost dans la modification des propriétés de ce type de sol. Si les résultats venaient à être positifs, ce sont toutes les plaines non utilisées du bas de la ville qui deviendraient de véritables potentiels pour l’agriculture dans un pays aux crises alimentaires à récurrence ; dans le cas contraire, des cultures hors sol, hydroponiques, seront privilégiées ;
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identification, réalisation et évaluation d’outils pour l’éducation à l’environnement, il s’agira, en partenariat avec l’Université de Sherbroucke au Canada, d’initier trois différents moyens de sensibilisation (utilisation d’un guide élaboré en 2009 dans les écoles de Cité Soleil, messages dans les églises pendant les sermons et affichage public dans le bidonville) et de vérifier leur impact sur les pratiques de rejet grâce à l’élaboration d’outils d’évaluation.