Valorisation des déchets en combustibles

Responsable de cette thématique : Jean-Philippe Tagutchou ( jean-philippe.tagutchou@cefrepade.org)

Le traitement thermique des déchets urbains, industriels et agricoles repose sur différentes transformations thermochimiques pouvant aboutir à la valorisation matière et/ou énergie. Dans la plupart de ces processus est mis en jeu un ensemble de mécanismes couplés de transfert de matière et de chaleur associés à des réactions chimiques dans différents types d’atmosphères réactionnelles créées. Les procédés mis en œuvre sont soit des procédés d’oxydation totale (combustion, incinération ou oxydation en voie humide), soit des procédés de décomposition et/ou de transformation thermochimique (pyrolyse ou gazéification), imposant différents modes de récupération/valorisation de l’énergie calorifique libérée.

  1. Les procédés

1.1. L’oxydation (combustion ou incinération)

C’est la destruction du déchet par des réactions exothermiques d’oxydation à l’aide d’un agent oxydant en excès du point de vue stœchiométrique. A la pression atmosphérique, lorsque l’agent oxydant est de l’air, de l’oxygène ou tout autre oxyde métallique (oxyde de fer ou de cuivre), on parle de combustion ou d’incinération.

L’incinération est un mode de traitement des déchets reposant sur la combustion des déchets et le traitement des effluents. Les effluents sont des fumées pouvant être nocives (métaux lourds, dioxines et furannes, poussières, CO, HCI, HF, SO2, NO, NO2…) qu’il convient de traiter avant rejet dans l’atmosphère ; leur traitement conduit à la production de déchets solides (résidus d’épuration des fumées). Les autres effluents solides sont constitués des mâchefers (qu’on peut valoriser en matériaux en BTP par exemple). La chaleur produite peut quant à elle être valorisée directement et/ou permettre la production d’électricité.

1.2. La pyrolyse (carbonisation)

La pyrolyse est une décomposition endothermique du déchet en atmosphère réductrice (moins de 2% d’O2) sous l’effet de la chaleur (à partir de 300°C). Ce procédé permet la décomposition de la matière organique solide en trois phases : solide (coke de pyrolyse ou char), liquide (constituée de condensables lourds – huiles de pyrolyse ou goudrons – ou légers – H2O -) et gazeuse (CO, H2, CO2, CH4, C2H4, C2H6). Si la vitesse de dégradation pyrolytique dépend du type de déchet, la répartition des produits de cette réaction peut être estimée à partir du niveau de température, de la vitesse de chauffe (°C/s) imposés par le chauffage externe ainsi que du temps de séjour de la matière dans le réacteur.

Lorsque le niveau de température et la vitesse de chauffe sont faibles (pyrolyse lente : 400 à 600°C ; 10 à 20 °C/s et ~ 60min de temps de séjour), le produit de la réaction est essentiellement un résidu solide : le coke de pyrolyse. Dans la pratique, les gaz et les goudrons formés sont en général rebrûlés pour apporter l’énergie nécessaire à l’entretien du procédé.

Par contre, pour des températures et vitesses de chauffe élevées (pyrolyse rapide : 650 à 850°C ; 300 à 800 °C/s et 1 à 10min de temps de séjour), le produit de la réaction est essentiellement un gaz de pyrolyse dont les fractions condensables (huiles de pyrolyse ou bio-oil) peuvent permettre la synthèse de biocarburants de type biodiesel ou subir un craquage thermique (pyrogazéification) afin de produire des incondensables légers récupérés comme combustibles.

Lorsque l’objectif de la pyrolyse est la production de charbon, on parle de carbonisation, technique de pré-conditionnement qui permet ainsi la concentration sous forme de carbone fixe de l’énergie contenue dans la matière organique. Cette technique qui est réalisée dans les conditions de pyrolyse lente est un procédé ancestral (fabrication du charbon de bois dans les meules) très développé notamment dans les PED.

La pyrolyse peut être un procédé intéressant pour valoriser certains déchets et résidus agricoles (pailles et rafles de maïs, bagasse, écorces, déchets de bois, coques de noix de coco, d’anacarde, de cacahuètes, tourteaux, etc.).

1.3. La gazéification

La gazéification est une réaction globalement endothermique qui transforme un combustible solide (biomasse, déchet) en un gaz combustible (gaz de synthèse) essentiellement formé de H2 et CO, et dans une moindre mesure d’hydrocarbures légers (CH4, C2H4, C2H6). Elle met en jeu un ensemble de transformations thermochimiques (séchage, dévolatilisation, craquage, reformage des gaz) parmi lesquelles la réaction de gazéification du char n’en constitue qu’une étape. En général, on admet que ce procédé résulte d’un processus à deux étapes (pyrolyse et gazéification) pouvant se réaliser dans un même réacteur ou découplées dans deux réacteurs différents (gazéification étagée). Dans ce dernier cas, l’agent gazéifiant (air / O2 / H2O / CO2) est injecté dans le second réacteur pour gazéifier les produits de la pyrolyse (coke + goudrons + incondensables) issus du premier réacteur afin de produire le gaz de synthèse.

Les procédés actuels de gazéification des déchets sont orientés vers la destruction du déchet (taux de conversion élevé) et la production d’un gaz à fort PCI pour la valorisation dans les moteurs à combustion interne ou turbines à gaz pour la production d’électricité. Le PCI du gaz produit dépend évidemment du type de déchet mais aussi et surtout de l’agent gazéifiant et de la température.

La gazéification apparaît comme une réelle alternative à l’incinération du fait que le rendement de conversion d’un ensemble gazéification/turbine à gaz est toujours bien meilleur (45%-55%) que celui d’un ensemble incinération/chaudière/turbine à vapeur. Cela permet à terme de diminuer le rapport CO2/kWh produit, contribuant ainsi à installer les nouvelles filières de destruction thermique des déchets dans le cadre d’un développement durable.

  1. La matière traitée

Les déchets visés sont des solides ou des boues, et notamment :

  • des matériaux contenant une fraction inerte valorisable, de type métaux, ceux-ci n’étant pas oxydés lors du traitement pyrolytique, et donc recyclables. C’est le cas des rebuts de fabrication de pièces composites métal-caoutchouc, pour l’élimination de pneus usagés ;
  • des matériaux subissant des changements de phase, en fonction du niveau de température, et donc entraînant des processus de ramollissement avec agglomération de la charge à traiter. C’est le cas de déchets plastiques ou de déchets contenant des métaux fusibles ;
  • des matériaux contenant une fraction volatilisable aux températures de l’incinération. C’est le cas des déchets contenant des sels ou des métaux vaporisables ;
  • des matériaux fortement azotés, chlorés ou soufrés, leur pyrolyse limitant la génération de polluants gazeux de type NOx, HCl et SOx ;
  • des boues biologiques contaminées, permettant leur séchage/ hygiénisation et carbonisation de leur fraction organique.
  • les déchets ou résidus agro-alimentaires
  • les déchets de bois et autres rebuts d’exploitation forestière
  1. Les équipements techniques

Tous ces procédés thermochimiques sont mis en œuvre dans des équipements ou réacteurs visant l’élimination et/ou la valorisation matière/énergie. On distingue différents types de réacteurs en fonction du procédé envisagé et/ou des objectifs visés.

Compte tenu des avantages (voir conclusion ci-dessous) dont disposent la pyrolyse et la gazéification comparées à l’incinération, et ce notamment dans les pays du Sud, nous ne parlerons ici que des procédés de pyrolyse et de gazéification. En effet, ces deux procédés permettent une valorisation énergétique des déchets avec de meilleurs rendements comparés aux incinérateurs classiques.  

3.1. Réacteurs de pyrolyse

Les réacteurs de pyrolyse sont des fours étanches à l’air, donc maintenus en légère surpression. L’ensemble des dispositifs d’introduction ou d’extraction de la charge doit être conçu de façon à minimiser les entrées d’air parasite (utilisation de sas pour l’approvisionnement du réacteur et l’extraction des cokes dans le cas des procédés continus).

3.2. Réacteurs de gazéification

Les réacteurs de gazéification sont des équipements faits en matériaux résistants en température (>1000°C) et pouvant être sous pression ou fonctionner à pression atmosphérique (acier inox, inconel, etc.). Il existe plusieurs technologies conçues suivant la dynamique de la matière première dans le réacteur (lit fixe, lit fluidisé, lit entrainé, lit étagé). Dans la plupart de ces technologies et notamment celles à lit fixe, le réacteur doit distinguer une zone de séchage / pyrolyse des déchets (sans agent gazéifiant) et une zone de gazéification proprement dite (combustion des matières volatiles et réduction du coke) où est introduit l’agent gazéifiant (Air, O2, CO2, H2O). Une grille de récupération des cendres est à prévoir. L’avantage des réacteurs à lit fixe réside dans leur simplicité et leur facilité de mise en œuvre. Ces types de réacteurs peuvent facilement être développés dans les pays du Sud. L’isolation thermique et l’étanchéité des réacteurs sont des points important du dimensionnement de ces équipements.

  1. Conclusion

Même dans les cas où elle n’est pas envisagée comme première étape de la gazéification, la pyrolyse des déchets dispose de plusieurs avantages par rapport à la combustion ou à l’incinération :

  1. La pyrolyse permet la concentration in-situ de l’énergie du déchet dans le coke (pyrolyse lente) ou dans les huiles de pyrolyse (pyrolyse rapide), facilitant ainsi son stockage (comme combustible et non plus comme déchet) et son transport pour une utilisation ultérieure et/ou sur un site différent ; ceci a l’avantage de s’affranchir des contraintes liées au stockage des déchets et celles liées à leur coût de transport.
  2. Bien qu’étant endothermique, le procédé de pyrolyse peut devenir facilement autothermique avec un bilan énergétique positif grâce à la combustion des gaz de pyrolyse pour l’alimentation du procédé.
  3. La pyrolyse des déchets produit moins de fumées (le déficit d’air dans la réaction génère moins de fumées à traiter) et donne ainsi la possibilité de faire des économies sur les équipements de traitement.

Cependant la pyrolyse des déchets ne part pas sans inconvénients :

  1. Necessité de prétraitement des déchets (séchage, broyage)
  2. Le coke issu des déchets reste un combustible relativement pauvre en fonction du type de déchet par rapport au charbon de bois.
  3. suivant la qualité des déchets traités, les polluants tels que les métaux lourds et les produits chlorés se retrouvent concentrés dans le coke. Ainsi, les installations de valorisation des cokes de pyrolyse des déchets restent soumises à la règlementation sur l’incinération ou la co-incinération (nécessité d’investissement pour traitement adapté).

La gazéification comme procédé de traitement thermique des déchets se pose aujourd’hui en concurrent de l’incinération, de par ses avantages par rapport à l’incinération :

  1. L’élimination des produits de combustion est effectuée directement sur le gaz de synthèse (CO + H2), alors que l’incinération produit un volume de fumée beaucoup plus important.
  2. L’énergie électrique peut être fournie par des moteurs à combustion interne et des turbines à gaz, qui sont beaucoup moins onéreux et plus efficaces que le cycle de la vapeur (cycle de Rankine) utilisé dans les incinérateurs. Ceci facilite ainsi la mise en œuvre dans les PED.
  3. Le gaz de synthèse permet aussi de synthétiser les carburants (procédés Fischer-Tropsch) ou encore de produire des piles à combustible en fonction de la qualité des gaz
  4. Des procédés thermiques de vitrification des cendres chargées de métaux lourds sont possibles, permettant ainsi de produire des produits chimiquement stables.
  5. Enfin, sur le plan environnemental, les procédés de pyrolyse et gazéification permettent la production d’électricité avec un ratio CO2/kWh faible comparé aux installations d’incinération.

Les procédés de gazéification restent néanmoins confrontés à certaines difficultés :

  1. Des verrous technologiques restent encore à lever.
  2. Nécessité de parvenir à un bilan énergétique acceptable en termes de production d’électricité surtout en ce qui concerne la gazéification des déchets. Le bon rendement de conversion de gaz de synthèse en énergie électrique reste contrebalancé par une forte consommation d’énergie pour le prétraitement des déchets, la production de l’agent gazéifiant (oxygène, vapeur d’eau) et le traitement des gaz.
  3. La qualité des déchets traités induit la nécessité de nettoyage fréquent des réacteurs (donc d’interruption momentanée du procédé).

Par rapport aux autres voies biologiques ou biochimiques de valorisation énergétique des déchets, les voies thermochimiques offrent l’avantage de pouvoir traiter les déchets non fermentescibles (ne pouvant ni être compostés, ni être méthanisés) tels que les pneus usagés, les plastiques, les déchets de bois, certains résidus agricoles, etc. Les procédés thermochimiques détruisent complètement les déchets solides, les transformant en gaz (seuls résidus restants : des cendres potentiellement valorisables) alors que la méthanisation produit des digestats qu’il convient de traiter avant valorisation éventuelle comme amendement organique.

Quelles applications pour le CEFREPADE ?

Nous travaillons actuellement avec l’IGEDD de l’Université de Ouagadougou à l’étude la la combustion de briquettes fabriquées à partir principalement de papier et de carton issus de déchets ménagers (voir : Nos projets). De telles briquettes ou bûchettes sont également fabriquées en Haïti, sur la plateforme de Cité Soleil (voir : Nos projets) et sur celle de Carrefour Feuille que nous avons visitée.

Briquettes 2 BriquettesPapier cartonPapiers cartonscentre de tri de Carrefour Feuille (Port-au-Prince)Papiers cartonscentre de tri de Carrefour Feuille (Port-au-Prince)centre de tri de Carrefour Feuille (Port-au-Prince)

Nous suivons aux côtés du RONGEAD les travaux en cours au 2IE de Ouagadougou sur la valorisation des coques d’anacarde. Ces coques qui entourent l’amande, la noix de cajou, contiennent un produit huileux, riche en composants phénoliques, le CNSL (cashew nut shell liquid), qui génère des fumées désagréables lors de leur combustion. Un travail est à faire pour caractériser ces fumées et trouver un procédé d’extraction envisageable à l’échelle semi-industrielle, voire artisanale, qui sont les échelles qui nous intéressent. La valorisation énergétique des coques permettrait de remplacer le bois et le gaz actuellement utilisés comme combustibles dans le process de transformation des noix de cajou.

Pommes et noix de cajoucoques d’anacardenoix de cajou (anacarde)

Voici quelques vidéos illustrant le procédé d’extraction de la noix de cajou : vidéo 1, vidéo 2, vidéo 3